Un autre regard sur l'avortement


Renoncer à un enfant en toute conscience - un acte qui laisse une empreinte

Décider de renvoyer un enfant d’où il vient, c’est la pire expérience que j'aie faite ici-bas.  Et si les moyens pour le faire sont devenus presque anodins, la manière dont je me suis trouvée livrée à moi-même dans un centre spécialisé est une barbarie infâme.  J'ai haï toute l’humanité pendant ces quelques heures passées dans un sous-sol humide et puant. Personne à condamner pourtant, juste une poignée d'êtres humains qui ne communiquent pas dans un contexte où l'empathie devrait être à son paroxysme.
L'intervention a lieu début août, et le personnel est réduit pour les vacances.  Une étudiante à l'accueil, aussi adorable que débordée, que je ne verrai qu'à trois reprises : 1. à mon arrivée 2. pour recevoir les médicaments et 3. pour constater l'hémorragie. Lorsque je quitte le centre, il n'y a personne.  Deux heures après, on me rappellera sur mon gsm pour y retourner car on a oublié de me faire la piqûre nécessaire à mon groupe sanguin.  Autant de petites maladresses et erreurs accumulées, qui ne font que rajouter à la difficulté de vivre cette douloureuse expérience.

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Ma détresse était muette, mes larmes coulaient comme le sang du creux de mon ventre.  J'aimerais oublier ces douleurs et ces allées et venues entre le canapé froid et la toilette, éperdue, à devoir observer tout ce qui sortait d’entre mes jambes, comment peut-on vivre cela seule et en ressortir sans révolte ?
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L’homme qui accompagne poliment sa compagne adopte une attitude de pudeur détachée, caché derrière un journal qu’il s’efforce de connaître à la lettre.  Il s'efforce de l'étudier avec assiduité, trop en détresse pour soutenir la femme à ses côtés.  Il ne trouve pas sa place entre l'hébétude et le désarroi de celle qui était encore si heureuse, il y a quelques semaines.


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Maman provisoire, maman pour toujours d’un bébé qui n’est digne de ce nom que pour moi …  Dans les centres d’avortement, les mots « bébé » ou « enfant » ne doivent pas être prononcés.  Les 6 premières semaines, on ne parle même pas d’embryon, juste de « matériel de grossesse ».

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Et pourtant, il a bel et bien existé, je n’ai pu suivre leur conseil de ne surtout jamais me le représenter ni dans ma tête, ni dans mon corps, ni dans mon futur.  Je n'ai pas eu peur de l’imaginer, je lui a parlé doucement comme à mes filles, lui confiant que je ne pourrais pas le rendre heureux ni l’élever comme il faudrait, que j'en aurai rêvé oui, mais que la seule preuve d’amour à lui apporter, c'est ça. 
La croix d'un enfant qui ne trouve pas sa place au sein de sa famille me semblait alors infiniment plus lourde à porter que celle qui accompagne la décision de mettre un terme à ma grossesse. 

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Mettre au monde un embryon dont on choisit d’interrompre le développement est un paradoxe humainement insoutenable.  Entre l’acte létal et l’expulsion, le temps qui s’écoule est comme un poison pour l'âme.
Le petit ainsi rayé de l’histoire de la famille, est inscrit dans chaque cellule de mon corps qui l'a si brièvement abrité.  Nier qu’il ait existé, même 5 ou 6 semaines, revient à nier les battements de mon propre cœur.

Octobre 2005


Chaque année, durant le mois où aurait dû naître mon enfant, je rêve d'un petit garçon.  Soit je le promène, soit je le cajole, je lui parle, je le berce.
Cette visite annuelle est devenue pour moi une consolation, l'impression que je reste en contact avec cette âme qui n'a pu prendre sa place dans ma vie ni dans celle de son père, avec lequel j'éprouve parfois le besoin d'en parler.  C'est ainsi que j'ai pu faire mon deuil, des années plus tard.

Ne jugez jamais une femme qui a pris cette décision.  Jeunes, moins jeunes, conscientes, moins conscientes, c'est un acte que toutes les femmes doivent être libres de poser, dans des conditions humaines et hygiéniques.

A l'heure où des voix menacent cette liberté, il est important de rester vigilant pour maintenir les acquis pour lesquels tant d'hommes et de femmes se sont battus.

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